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Pêcheurs de Garonne

26 Oct 2022 | 0 commentaires

Dossier central du n°78

Nous retrouvons notre rivière, non plus du côté des Bassins à flot, mais dans le Bacalan traditionnel. La pêche y était très présente, pour vivre, nourrir sa famille et même amuser des garnements qui sont maintenant de respectables grands-pères.
Que ce soit avec l’Amicale des pêcheurs de Bordeaux Nord ou avec l’un des derniers pêcheurs professionnels de la ville, en balayant plus d’un siècle d’histoire, ce dossier vous promènera des eaux glacées du Canada à notre Garonne voisine.

Dossier réalisé par : Stéphanie Bautrait, Pierrette Coudret, Gérard Lefèvre, Marjorie Michel.


Le petit port de Bacalan

Un véritable havre de paix, atypique et sympathique situé au bout du boulevard Brandenburg, géré et entretenu par une équipe de Bacalanais amoureux de leur Garonne.

Datant des années 1960, ce ponton a vu passer bon nombre de Bacalanais : Dédé Viaux, Alain Desbois, et, depuis 2016, c’est Michel Molina qui est aux commandes avec l’appui entre autres de son épouse, de Kiki et Lulu. Aujourd’hui, l’association compte une vingtaine d’adhérents, une douzaine de bateaux et elle paie un loyer annuel au Port autonome.

Avec l’interdiction de la pêche à l’alose en 2008, le lieu a été laissé à l’abandon quelques années, il est même devenu le paradis des chats sauvages : il y en avait plus d’une quinzaine et on ne peut qu’avoir une pensée émue pour Marcel Marty, qui venait tous les jours depuis Lormont pour les nourrir.

Depuis, avec l’aide de Fabien, de l’Amicale laïque, l’Amicale des pêcheurs de Bordeaux NordOn a gardé le nom que les anciens avaient choisi ») s’est montée en association et a pu ainsi obtenir une aide du Département pour la remise en état de cet endroit historique de notre quartier. Il y a eu des gros travaux pour restaurer le ponton, refaire la mise à l’eau : « La descente n’allait pas jusqu’en bas, la Garonne, elle, montait jusqu’au hangar, mais il y a eu tellement d’envasement qu’on a dû remblayer, mettre de la grave et reconstruire la descente. On a voulu garder ce patrimoine et puis c’est beau ce petit coin en plein Bordeaux. »

Cette joyeuse équipe explique ô combien il est agréable de se retrouver entre potes sur l’eau et d’aller pêcher : « On ne fait pas ça pour manger ni pour gagner sa vie mais pour le plaisir d’être sur l’eau, au calme. À l’époque, du temps des familles Perrament, Moral, Tylipski…, c’était autre chose, les habitants faisaient la queue sur le boulevard en attendant les retours de pêche. »

Tout est très réglementé, certains poissons sont interdits de pêche et il faut absolument détenir un permis/ licence de pêche amateur, « même pour donner un coup de main à un collègue ».

Il y a plusieurs tarifs :

  • 77 € pour mettre la canne et trois balances (crevettes).
  • 128 € pour la canne, les balances et les bourgnes (nasses, pièges).
  • 150 € avec le filet en plus.

Suite à cette chaleureuse rencontre, on sait aujourd’hui faire la différence entre une barque et une yole (« La barque, elle a le cul plat et celui de la yole est pointu ») avec en prime quelques anecdotes, comme par exemple quand Christian tombe en panne d’essence sur l’eau : « Ça arrive qu’on tombe en carafe, eh bien je laisse les tennis dans la vase, je me coupe les pieds avec les roseaux et je rentre à cloche-pied en râlant. » Ou encore quand Michel fait un AVC sur l’eau, sur le bateau : « On était partis à quatre ce jour-là, je leur ai filé la trouille, ils ont crié : « Lève vite le filet, on se casse ! ». »

Et voici leur recette de la crevette, « La meilleure, hein ! »

Pour 2 kilos de crevettes :

4 litres d’eau, du fenouil, de la badiane, du piment de Cayenne, un peu de cinq-baies, deux verres à Ricard de gros sel. « Quand ça bout, on les plonge dans l’eau et quand ça rebout, c’est fini. C’est rapide, elles cuisent de peur ! »


Rencontre avec Jean-Marie Hauchecorne

l’ultime pêcheur professionnel de bordeaux.

Jean-marie dirigeait des entreprises, il n’y connaissait rien à la pêche professionnelle et pourtant aujourd’hui il est le dernier pêcheur professionnel de bordeaux.

Il s’est découvert une passion pour l’eau, pour cette Garonne à la teinte dorée, il est incollable sur les différentes espèces de poissons. Il ne pêche qu’à Bacalan car cela reste une des meilleures zones de pêche de toute la Gironde. Quand il parle d’alose, de pibale, de silure, de crevettes blanches, ses yeux s’illuminent, il est habité et confie qu’il n’y a pas meilleur bureau que le sien !

Avec son joli bateau « Les Tontons flingueurs » amarré au pied de la Cité du vin, tous les jours c’est le même rituel en fonction de la marée : il part relever les pièges déposés la veille. Le fruit de sa pêche, il le revend aux chefs étoilés et aux restaurateurs du coin, le Bar de la Marine, Le Familia…

En parallèle, il développe une activité de pescatourisme dans le but de faire découvrir son métier et sa passion. Embarquez avec lui pour une balade-apéro inoubliable sur la Garonne ou bien accompagnez-le, de jour comme de nuit à la pêche aux crevettes, aux anguilles ou à la pibale.

Voici « sa recette » de la crevette :
directement à la plancha avec du fenouil sauvage et du gros sel, c’est original, simple, festif et inimitable ! Et croyez-le quand il dit que « pêcheur sur la Garonne c’est vraiment le plus beau métier du monde ! ».

Bon à savoir

L’anguille se pêche du 1er mai au 30 septembre, la crevette de juin au 30 novembre et la pibale du 15 novembre à fin mars (pêche de nuit).

Contact : 06 50 76 52 45 / facebook.com/pecheurbdx


La pêche, tradition Bacalanaise

Nous reproduisons ci-dessous un extrait d’un article écrit en 2011 par une figure du quartier, Marcel MARTY.

Plusieurs familles bacalanaises vont activer leurs souvenirs… Les pêcheurs au filet rond ont maintenant disparu. Cette technique consistait à avoir à l’arrière du bateau un mat incliné avec une poulie et un treuil pour descendre et remonter un filet accroché à un cercle métallique d’environ 3 mètres de diamètre. C’est la même méthode que pratiquent les pêcheurs depuis leurs pontons dit « carrelets », certains ont des filets ronds, d’autres carrés, ce qui revient au même.

À la saison des aloses, certains pêcheurs démontaient leurs installations arrière pour être plus à l’aise pour tirer les lans, ils remontaient le tout après la date de fermeture de la pêche à l’alose. Jean André Viaud dit « Dédé » et son oncle Paul Viaud étaient de ceux-là. Ces deux hommes prenaient un très grand soin de leur bateau et de leur matériel. Dédé fut le dernier du secteur à pêcher au rond. Un changement de législation qui imposait de nouvelles dimensions de mailles et la raréfaction des anguilles l’incitèrent à arrêter cette pratique, il continua à pêcher l’alose à la saison. Tirer un lan consiste à se laisser dériver le filet tendu en travers de la rivière en maintenant le bateau perpendiculaire au travail dont on aperçoit les guides et la bouée extrême.

Ce n’était pas toujours facile et des fois il fallait relever rapidement si un cargo arrivait. Le lan pouvait partir du hangar 14 (cours du Médoc) jusqu’à Bassens avec le descendant et au retour avec le montant aller jusqu’aux Quinconces, certaines fois il était écourté. Arrivé au ponton, une fois le bateau accosté, il fallait « dépanter » c’est à-dire sortir le poisson du filet : opération délicate et parfois assez longue si on voulait éviter de casser les mailles et dans laquelle excellait Claude Moral. Ensuite il fallait débarquer le poisson pour le mettre au frais puis escaler le filet, le pendre pour qu’il sèche surtout pour les anciens filets en chanvre ou en coton bien souvent enduits à l’huile de lin ce qui les rendait moins visibles dans l’eau. On voyait ces engins étalés sur certains murs du quartier. Celui du dépôt des essences des armées du boulevard Brandenburg était très sollicité. Certains avaient planté des paleyres parallèlement à la digue ce qui leur permettait d’escaler quand il n’y avait plus de place sur les murs. La longueur des filets pouvait aller jusqu’à 160 mètres ; une fois sec il allait ramender (réparer les mailles cassées ou parfois refaire une surface importante si l’engin avait rencontré une croche sur le lan) pour cette opération ils se servaient de ciseaux et de la navette de fil. L’apparition des fibres synthétiques dans les années 50 donna lieu à une nouvelle génération de matériel de pêche, il serait trop long d’entrer dans les détails. Les pêcheurs d’aloses ont apprécié les filets en crin (nylon monobrin) bien moins fragiles que les anciens se mêlant moins et surtout plus besoin d’escaler si souvent. Paul Viaud avait installé les paleyres dans son jardin où il séchait et réparait son filet et des fois celui de Dédé. Il faisait aussi les trioules : filet à petites mailles pour les balances à crevettes. Il était habile et très méticuleux. Maintenant les pêcheurs amateurs n’ont plus droit qu’à 60 mètres de longueur de filet. Dans certaines familles, la dégustation de la première alose était l’occasion d’une petite fête. Des communes en bordure de rivière célébraient la fête de l’alose, Lormont par exemple, ce qui donnait lieu à des réjouissances publiques. Cette tradition s’estompe depuis la fermeture de la pêche à l’alose en 2006 sur la Garonne et la Dordogne (…)

Lire aussi :  Fred Wartel, l’enraciné

(…) Aujourd’hui beaucoup d’anciens pêcheurs du quartier sont morts. D’autres, comme les frères Fonta, ont vendu leur bateau du fait de la raréfaction des espèces et de l’interdiction plus ou moins temporaire de la pêche à l’alose, ce qui n’incite pas non plus les jeunes à prendre le relais. Cette situation n’est pas spécifique à Bacalan, la flottille de pêche amateur s’amenuise progressivement. C’est un art de vivre qui tend à disparaître. Ne soyons pas pessimistes mais gardons les yeux ouverts. Je reste amoureux de la Garonne et de l’estuaire.


Les Terre-Neuvas

La pêche à la morue (ou cabillaud) sera longtemps miraculeuse et les bateaux, les terre-neuvas (du nom donné aux pêcheurs qui les utilisaient), ont durant des décennies sillonné des eaux foisonnantes de poissons énormes. En 1907, Bordeaux recevait 70 % de la production française de morue : sur 37 sécheries, elle en possédait 30 et elle fixait souverainement les prix. À la fin du XIXe, une forêt de trois-mâts s’élevait dans le port. Ils ont été remplacés au fur et à mesure par des chalutiers devenus des cargos munis de radar, pouvant en toute sécurité affronter brumes et tempêtes des mers polaires. Bègles s’est équipée peu à peu et, en 1939, dix usines modernes faisaient du grand port girondin la place la mieux installée de France.

Durant la deuxième quinzaine de février, les terre-neuvas appareillaient. Ces bateaux doivent leur nom à l’île de Terre-Neuve, au large du Québec, dont les impressionnants gisements de morues furent découverts au XVIe siècle. En mars, ils étaient sur les bancs et la pêche commençait. Elle durait quatre mois, pendant lesquels il n’y avait aucune relâche, les hommes ne voyaient que le ciel et la mer, parfois, et le plus souvent rien du tout que la brume. Vers le milieu de juin, les chalutiers revenaient, débarquaient leur poisson et, un mois après, ils repartaient. Leur deuxième campagne les conduisait souvent au Groenland. Encore quatre mois de pêche et, fin novembre, c’était le retour en France pour l’hivernage. Telle était la rotation moyenne d’un chalutier dit de « deux campagnes ». Il y avait des « trois campagnes », mais ils étaient rares.

Avant de partir en campagne de pêche, la tradition, très vivace en Bretagne, voulait que l’on baptise les bateaux. Bordeaux a fini par adopter cette coutume et le dimanche 4 février 1951 fut célébré le premier pardon des terre-neuvas, durant lequel l’archevêque local est venu bénir, au bassin à flot n° 2, les navires en partance pour le Canada. Ces grandes fêtes populaires ont été célébrées durant les années 1950 pour ensuite disparaître concomitamment au déclin de cette activité à Bordeaux. Les années 1930-1960 sont les dernières heures de gloire de cette grande pêche. Le 6 décembre 1988, le dernier bateau de pêche lointaine « Le Commandant Gué » (qui pêche dans les eaux des Kerguelen, de Saint-Pierre-et-Miquelon, des côtes canadiennes) est à quai à Bordeaux, il est désarmé pour être vendu. C’est la fin d’une époque. En cause : la pêche intensive avec des moyens modernes qui a conduit à une quasi-disparition de la ressource en morue et à une interdiction de pêche par les autorités canadiennes. Dans la marche du temps et du « progrès », sont apparus les bateaux-usines, des vrais bulldozers en provenance de Russie, du Portugal, mais aussi du Québec, qui ont ratissé les fonds marins. Le Canada a décrété, en 1992, un premier moratoire sur la pêche à la morue…


Les bagnards de la mer

En 2011*, Marie Hélène Cartier, Bacalanaise de la rue Delbos, avait souhaité rendre hommage à son grand-père, Jules Auguste Ferron, ancien cap-hornier, terre-neuvas, rescapé de sept naufrages. Elle avait envoyé au journal un portrait écrit par Jeanne Allain Poirier, nièce de Jules Auguste. En voici un extrait :

« Lui, à 12 ans, c’était le chien du bord, comme il disait. Tard couché, premier levé, il avait pour mission de préparer “le jus du matin” pour tout l’équipage… Mais sa triste misère ne s’est pas arrêtée là, loin s’en faut.

Pour parler de ses naufrages […] il s’en est tiré plus ou moins difficilement mais toujours avec beaucoup de courage. C’était un vrai marin, un de ces hommes qui, au large, rêvent de la douceur du foyer. Mais au milieu de tout cela, il entendait l’appel de la mer, du vent et des risques. Il avait ce métier dans la peau.

À sept reprises il a vaincu l’Océan et ce, sur toutes les mers du globe. Il a bourlingué partout et à 15 ans a franchi le cap Horn pour la première fois, pour aller livrer de la morue salée sur les chalutiers, les “cap-horniers” sous les îles du Levant. C’était vraiment la galère mais coûte que coûte il fallait passer.

Un autre jour il me racontait d’autres histoires […] Celle par exemple sur la banquise, des mois entiers dans la mer de Norvège et dans l’Antarctique avec des Esquimaux, prisonniers des glaces […] Un palmarès de cinquante-cinq années d’inscription maritime (qui en fait peut-être l’un des plus vieux marins recensés).

Mais s’il s’était installé à Bordeaux avec sa femme et ses quatre enfants, c’est qu’il avait sauvé d’un naufrage certain un chalutier français de la Cie Huret (basée aux Bassins à flot) avec l’équipage et un complet chargement de morue salée d’une grande valeur. Le capitaine déviait fortement de sa route, aussi l’équipage voyant venir le naufrage décida de se mutiner très rapidement en attachant solidement ce dernier à une mâture.

Jules Ferron fut désigné pour prendre le commandement du bateau. Il sut éviter au chalutier d’éperonner les récifs et il arriva à bon port aux quais de Bacalan…

[…] Dans les années 80 aux Bassins à flot […] lorsque deux ou trois chalutiers revenaient à terre, c’est Marie Thérèse Simon**, une habitante de Bacalan, qui assurait la maintenance des paquetages de 150 marins environ. Malgré la laverie industrielle dont elle disposait, il fallait des journées de dix heures pour raccommoder draps et couvertures et ravauder tant bien que mal cette énorme masse de linge souvent en loques […] Elle a peu à peu réussi à ce que la qualité du linge soit améliorée et a même obtenu des housses à matelas pour chacun. Marie Thérèse offrait ainsi un peu de douceur à ces marins, qui repartaient pour plusieurs mois avec un paquetage en bon état. »

*Voir sur notre site dans les archives, le n° 34 consacré à Bacalan et sa rivière.
**Pour les anciens Bacalanais qui ont connu Pierrette Colin, ancienne présidente de Gargantua et fidèle au journal depuis sa création, Marie Thérèse Simon était sa sœur.


Coquineries de Luis Diez

La « Pibale »

Lire aussi :  Donnez nous des jardins…* !

Enfant du quartier, je me souviens que dans les années soixante je passais la moitié de mes nuits au bord de la Garonne, attendant la marée qui faisait remonter des « pibales » (civelles) en quantité. À la lueur de la lampe au carbure, on voyait serpenter le banc des alevins que l’on pêchait avec le « pibalou » (un filet constitué d’un grillage à maille serrée dans une jante de vélo avec un long manche ou une corde pour le tirer). Il n’était pas rare d’attraper 2 ou 3 kilos de pibales par nuit, cela suffisait pour me constituer un petit pécule, on les revendait à un bon prix car elles étaient très prisées, surtout de l’autre côté des Pyrénées.

Nota bene : les pibales ou civelles sont des alevins d’anguilles nés dans la mer des Sargasses que le Gulf Stream ramène dans nos fleuves où ils grandissent. Les pibales repartent ensuite pour se reproduire vers leur lieu d’origine.


Les enfants des marais

Dans les années 50-60, le secteur entre Ravezies et Bacalan était un tissu de jalles et de marécages. C’était un magnifique terrain de jeu et d’aventures pour nous, enfants du quartier. Pas de télé, encore moins de tablettes, nous étions dehors dès que nous sortions de l’école, la ligne de pêche dans le cartable.

J’en viens à vous raconter deux anecdotes que j’ai vécues à cette époque.

Par une après-midi d’été, je me rendais à l’école Jean-Jaurès toute proche en prenant le chemin des écoliers à travers les marais. J’en profitais souvent pour poser des lignes de pêche dans l’espoir qu’à mon retour quelques poissons se seraient fait prendre, mais ce jour-là, à peine la ligne à l’eau, un magnifique brochet mordit à l’hameçon.

Que faire ? Je ne pouvais pas le laisser là : avec la canicule, il aurait été avarié à mon retour après la classe, je décidai donc de l’emporter dans mon cartable.

À peine assis à ma place dans la salle de classe, la maîtresse remarqua un petit filet d’eau qui s’échappait de ma sacoche. Sur son injonction, je l’ouvris, elle fut surprise en voyant le poisson au milieu des crayons et porte-plumes (un copain avait pris en charge mes livres et cahiers pour les préserver de l’humidité). Elle sourit et me laissa le poisson, que je mangeai le soir même.

Quelque temps après, le regard de l’institutrice fut attiré par les soubresauts du cartable d’un camarade habitué lui aussi des activités dans les marais.

Pensant avoir à nouveau affaire à un trophée de pêche, elle fit ouvrir la sacoche : horreur, une couleuvre à damier de bonne taille en profita pour s’échapper et ramper dans toute la classe en cherchant une issue. Ce fut la panique, les élèves et la maîtresse fuyaient devant l’animal affolé…

Finalement, le directeur appelé à la rescousse captura le serpent, qui le lendemain finit dans un bocal de formol au fond de la classe. La maîtresse ne vérifia jamais plus le contenu de nos cartables…


Garonne

C’est par la mer, vois-tu
cette eau si féminine
un peu lourde et têtue
ondoyante et féline

Ma Garonne friponne.

Juste un peu clapotis
des cheminées au loin,
un pêcheur engourdi
des brumes du matin

Ma Garonne mignonne.

Des filets ronds câlins
lui caresse l’échine
au son sourd du baudouin
agitant la péniche

Ma Garonne ronronne.

C’est par la mer, les soirs
qui tombent en dentelles,
où l’ombre dans le noir
fait des trous pour les belles

Ma Garonne polissonne.

La mer elle s’en fiche,
elle roule fièrement
des galets dans les friches
en ses flancs océans

Ma Garonne gasconne.

Elle charrie les douleurs
des esclaves africains
si fort que leurs couleurs
sur sa peau ont déteint

Ma Garonne maronne.

Jean Dartigues


Les poissons migrateurs de la Garonne

Le maigre ou courbine ou grogneur

Les populations de maigres se reproduisent uniquement dans trois régions du globe bien distinctes :

  • en Méditerranée, avec une reproduction dans le delta du Nil
  • au nord-ouest de l’Afrique, avec une reproduction en baie du Lévrier (Mauritanie)
  • dans le golfe de Gascogne, où le maigre se reproduit dans l’estuaire de la Gironde

Il est appelé « grogneur », car le mâle émet des grondements sourds dus à une contraction rapide et répétée des muscles natatoires au moment de sa reproduction.
Il peut vivre quinze ans.

L’anguille

vit en eau douce, mais se reproduit en mer des Sargasses. C’est une zone calme sans vent ni vague, seule mer considérée sans rivage. L’anguille parcourt des milliers de kilomètres afin de s’y reproduire, mais c’est en tant que pibale ou civelle qu’elle effectue son retour en eau douce.

Le saumon

vit en rivières à forts courants, peu profondes, à l’eau très pure. Alevin en eau douce, il se transforme durant sa migration vers l’océan pour y atteindre au bout de trois à cinq ans sa taille adulte. Pour se reproduire, il remonte la rivière qui l’a vu naître grâce à sa mémoire olfactive.

La truite de mer

se distingue du saumon par : une bouche plus grande, des écailles plus petites et un instinct de retour à la rivière natale moins prononcé. Elle effectue des migrations côtières et remonte en rivière pour se reproduire après un séjour de trois mois à trois ans dans l’océan.

La grande alose

En mars, les aloses quittent la mer, pour rallier le cours d’eau où elles sont nées. De mai à août, c’est la période de reproduction si l’eau est au minimum de 18 °C pour déclencher le processus de frai. La ponte nocturne est très bruyante avec une danse nuptiale tapageuse. C’est le « bull ». Les adultes meurent après avoir rempli leur rôle de géniteur. À condition que l’eau fasse 17 °C après quatre à huit jours d’incubation, les œufs éclosent. Dès l’automne, les alosons migrent en bancs. La descente dure de trois à six mois, puis ils atteindront la maturité sexuelle qui intervient entre 3 et 8 ans.

L’alose feinte ou gape

Contrairement à d’autres migrateurs, les aloses feintes entament leur migration de reproduction en direction des eaux douces à partir du printemps. Elles sont alors âgées de 2-3 ans pour les mâles et de 4 ans en moyenne pour les femelles. En été, elles atteignent les zones d’estuaire et y séjournent trois ans.
L’alose feinte est une espèce indicatrice de la bonne santé des milieux.

La lamproie marine

Poisson vertébré parasite caractérisé par l’absence de mâchoires, remplacées par un disque buccal ventouse garni de dents adaptées à la succion. D’août à septembre, les larves grossissent en eau douce chargée de végétaux en décomposition pour s’y enfouir. Leur phase de croissance dure de cinq à sept ans. L’élévation de température en fin d’été favorise leur métamorphose, les préparant à la vie marine. Elles quittent les cours d’eau à partir de l’automne pour aller parasiter des poissons en Atlantique. Lors du retour en rivière pour la reproduction, elles perdent leur capacité à retourner en mer, ce qui marque la fin de leur vie.

La lamproie de rivière

Espèce plus petite, vivant plus près des côtes. Elle se fixe sur les flancs des poissons, et, à l’aide de ses dents, arrache la peau de son hôte pour en manger la chair.

L’esturgeon européen

est le plus grand poisson migrateur. Il y a moins de cent ans, on pêchait 4 000 esturgeons par an en Garonne. Vingt ans plus tard, seulement 200. Pouvant vivre près de 100 ans, atteindre les 3 mètres, il est très vulnérable pendant ses quinze premières années. Dès avril, les géniteurs remontent les fleuves. La reproduction a lieu de mai à juillet dans des zones profondes (plus de 5 mètres) avec des courants importants. Après quinze jours, l’éclosion, les alevins demeureront sur les sites jusqu’en décembre puis descendront progressivement vers l’estuaire, où « les juvéniles » y passeront l’essentiel de leur développement. Effectuant des allers retours saisonniers entre l’estuaire l’été et la zone maritime côtière l’hiver. À l’âge de 8 à 10 ans, ils quittent l’estuaire et acquerront leur maturité sexuelle.

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