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De Labarde à Anne Sylvestre, entre souvenirs et avenir

11 Mar 2019 | 1 commentaire

L’école n’est pas un lieu de passage mais un lieu de construction. On y apprend la vie en premier lieu. Et l’Humain assurément. Certaines écoles marquent les âmes car elles offrent une expérience humaine singulière : enfants et adultes en ressortent plus riches qu’ils n’y sont entrés car ils ont côtoyé à la fois le semblable et le différent dans un mélange savoureux.
Le 7 mars 1955, le Conseil Municipal de Bordeaux adopte différents projets de constructions scolaires de grande ampleur. Il faut dire que la population de la ville s’accroît, comme celle du pays, sous l’effet du baby-boom et de vagues successives d’immigration et avec elle les effectifs des classes des écoles. On parle même de « problème scolaire », d’urgence annoncée par les statistiques qui prévoient que la courbe maximum des effectifs sera atteinte à la rentrée 1958-1959. C’est dans ce contexte que le projet de construction de l’école Labarde, apparaît dans une commande groupée, auprès des écoles Albert Thomas, Carle Vernet et Guynemer, sous la direction de l’architecte coordinateur Jean Prévôt.

L’école restaurée – 2019 (photo Catherine Passerin)

À l’origine, seize classes sont prévues : huit pour les filles, huit pour les garçons ! Mais en septembre 1956, seules sept classes sont prêtes, les travaux ont pris du retard car un gros travail de remblaiement gêne leur bonne marche. En 1959, une extension avec des Algécos est nécessaire car les élèves arrivent en nombre, comme les statistiques le prévoyaient. Filles et garçons sont séparés comme il se doit à l’époque, l’école est scindée en deux parties : Labarde 1 et Labarde 2. Une directrice et un directeur se partagent l’administration. Les travaux prennent fin en 1960 et l’école Labarde accueille des élèves de toutes les origines, permettant la rencontre de cultures variées, dans un vaste espace, parsemé d’arbres et entouré de larges « zones vertes ». Dans les années 1970, la mixité gagne et les deux directeurs restent. Au mélange initial, viendront s’ajouter au début des années 1980 les élèves de l’école Cruse, fermée en 1979 et qui accueillait essentiellement des élèves de six à douze ans de la communauté gitane, en voie de sédentarisation sur le camp de Labarde. D’autres enfants de la communauté, un peu plus âgés, occupaient déjà quelques bancs de l’école dans une classe dédiée. Quelques-uns étaient scolarisés sur le camp lui-même.

Vue depuis le Chemin Labarde – 1962 (photo archives de la métropole)
École Cruse avant sa destruction – 1979 (photo archives Sud Ouest)

De nouveaux travaux sont votés en 1982 et Labarde (l’école), désormais administrée par un seul directeur et entièrement restructurée en petits îlots par les architectes Dupuis et Boyer, voit ses rangs gonfler d’élèves de tous les horizons, dont beaucoup d’élèves de la communauté gitane. Les familles gitanes de Labarde (le camp) cherchent, quant à elles, de meilleures conditions de vie dans un nouveau terrain d’accueil, baptisé « le hameau de Garonne ». Le climat scolaire de l’époque est décrit comme difficile car l’intégration de ces nouveaux élèves, éloignés de la culture scolaire, est rendue compliquée par le fait qu’ils sont relégués dans des classes. Le mélange ne se fait pas vraiment.
Un autre travail commence alors. Le chantier est vaste mais les bonnes volontés et bonnes intelligences se mettent en synergie. Les parents d’élèves, les enseignants, les acteurs de terrains (médiateurs, éducateurs, animateurs, agents municipaux), les élus et techniciens, les inspecteurs de l’Education Nationale, oeuvrent ensemble pour changer en profondeur l’école et y parviennent. Les élèves se partagent les bancs, toutes origines confondues, plus personne n’est mis au ban. Les portes de l’école s’ouvrent pour que les gens communiquent mieux et pour offrir ce qu’elle donne à apprendre aux petits comme aux grands, les espaces verts sont cultivés par les élèves et deviennent des espaces de culture scolaire partagée. Le bâtiment scolaire lui-même a fait peau neuve et connait la fin d’une nouvelle vague d’importants travaux de rénovation et d’isolation, financés par la municipalité en 2018.
En 2019 on peut dire que l’école Labarde a beaucoup changé mais elle a gardé sa singularité. Et de « Labarde » on ne veut garder que les bons souvenirs et écarter, sans les renier, les mauvais qui lui collent à la peau.
C’est pourquoi l’avenir est à l’école « Anne Sylvestre » à présent.
Marine De Broca-Célérier

L’école élémentaire Anne Sylvestre

Il est inhabituel d’inaugurer une école après soixante années d’existence ; c’est pourtant ce qui arrivera le 12 avril prochain, jour où l’école « sans nom » de l’avenue de Labarde prendra celui d’Anne Sylvestre.
Ce dossier revient sur le passé singulier de cet établissement, sa réalité historique qui lui procure encore aujourd’hui une réputation aussi erronée qu’injuste. En témoigne le projet d’école et les dispositifs à l’oeuvre portés par l’équipe éducative et les partenaires associatifs qui sont également évoqués.
L’idée restée en suspens de donner un nom à cet établissement scolaire avait été émise depuis longtemps par son Conseil d’école. Femme de culture, poétesse, chanteuse et amoureuse des mots, féministe et humaniste, Anne Sylvestre – dont vous découvrirez l’interview – incarne parfaitement, en termes de valeurs, l’ambition souhaitée pour les élèves de l’établissement.
Nommer ne signifie pas renier ses racines, c’est simplement poursuivre l’histoire autrement. Longue vie à l’École Anne Sylvestre !

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Témoignages d’anciens élèves de l’école Labarde (les pionniers)

Bernard Beaumont : « J’étais élève à l’école Labarde en 1958 et 1958, jusqu’à 14 ans et demi. J’ai un grand souvenir de la deuxième année, dans la classe du directeur, avec lequel on avait cours de dessin le vendredi après-midi. Du coup, personne ne manquait. On allait à l’école de très bon coeur, pour préparer notre avenir dans une bonne ambiance. Cette école, c’était notre deuxième maison. »
Alain Beaumont : « J’appartenais à une famille nombreuse. En entrant à l’école, j’ai eu l’impression qu’on m’enlevait de chez moi. On y allait pour les allocations familiales, avec l’agent payeur qui venait les verser dans chaque maison. Grâce aux profs, excellents et que l’on respectait, j’ai découvert l’école comme une nouvelle famille. On nous donnait du lait, des chaussures pour jouer au football. »
Annie Dupuy : « Je suis rentrée dans l’école en 1958, pour le CM1 et le CM2. Auparavant, j’étais à Charles Martin en attendant que l’école Labarde soit construite. Là, les filles et les garçons étaient séparés par un grillage ; pourtant, dès qu’on sortait de l’école, on se retrouvait ensemble pour jouer et aller à la piscine Tissot l’été. J’ai de très agréables souvenirs de cette école et nous sommes heureux de nous retrouver maintenant dans notre association « Les anciens de Bacalan-Claveau ». Ma fille a également été élève à l’école Labarde. Quand elle était en CE2, les enfants du village Andalou y ont été accueillis. Comme ils étaient souvent absents, on a créé une classe spéciale pour eux. »
Lahkdar Belaïd : « J’ai fait toute ma scolarité de primaire à l’école Labarde. Tous mes codes, je les appris là-bas, c’était un grand lien social. Pour moi, l’école Labarde s’appellera toujours l’école Labarde. »
Josiane Filatreau : « Je suis arrivée au CP en 1959. Le jour de la rentrée, ma mère était avec mon frère à l’école maternelle. Je suis entrée seule dans l’école. Toutes les filles étaient dans la cour qu’il a fallu traverser pour rejoindre les classes de CP. Il n’y avait pas de liste d’élèves, les deux maîtresses sont arrivées sur le pas de leur classe et nous ont demandé de choisir entre elles. J’ai choisi madame Turnesse. J’ai adoré cette enseignante, c’est elle qui m’a donné l’envie de devenir institutrice. »
Joëlle Van Bastelaère : « J’ai fait le CE2, le CM1 et le CM2 à l’école Labarde et j’ai continué deux ans pour les fins d’étude. J’en garde de très bons souvenirs. En arrivant dans ce quartier, j’ai eu l’impression de trouver une famille. On organisait beaucoup de fêtes à l’école. Pour le goûter de Noël, on avait une clémentine et un peu de chocolat. On venait à l’école avec un tablier, mais pas tous le même. Le jour de repos, c’était le jeudi, mais on allait à l’école le samedi matin. »
Régis Pedros : « À mon arrivée à Claveau en 1957, l’école Labarde n’était pas encore ouverte et j’ai passé une année à Charles Martin avant de la rejoindre. On se connaissait tous dans l’école et aussi en dehors. On y vivait bien, dans l’école, avec un respect mutuel de tout le monde. Elle présentait une bonne cohésion sociale avec beaucoup de mixité. Tout le monde acceptait tout le monde et une grande amitié nous liait. Une petite anecdote : un jour, une couleuvre s’était aventurée près du grillage, les enfants de l’école l’avaient massacrée avec des pierres. Depuis, j’aime les serpents. »

Mon premier poste comme enseignant titulaire

Septembre 1981 : une année après ma sortie de l’École normale, j’arrive dans l’école Labarde, nommé titulaire-remplaçant. Je suis accueilli par Marie-Claude Lazorbe, la directrice de Labarde 2. Et oui, il existait encore deux écoles Labarde, mixtes heureusement ! Le directeur de Labarde 1 était Serge Bonnet.
Je ne suis resté qu’un mois dans le quartier, le temps de découvrir aussi la maternelle, dans la classe des enfants du village andalou. Après une année de service national, je suis de retour à l’école Labarde où je vais rester jusqu’en juin 1985, effectuant des remplacements dans toutes celles du quartier.
Mes remplacements m’ont mené jusqu’au collège du Grand-Parc, avec les adolescents du village andalou. Ceux-ci avaient la particularité d’être très absents, même si un bus venait les chercher dans le camp qui était situé près du golf. Régulièrement, il fallait que j’aille y rencontrer les familles pour les convaincre de scolariser leurs enfants.
J’ai donc connu la transformation de l’école Labarde, avec un seul directeur et des classes installées dans les petits pavillons que nous connaissons actuellement. La cour ne comportait qu’un ridicule préau qui n’était pas assez grand les jours de pluie.
J’ai beaucoup apprécié mon passage dans l’école Labarde, trouvant des enseignants très motivés et des élèves ayant soif de savoir. C’est exactement ce que j’ai cherché à retrouver tout au long de mon parcours professionnel.
Alain Mangini

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Anne Sylvestre : « Et elle chante encore ? »

C’est le titre qu’elle m’a offert en 2012 pour la biographie que je lui ai consacrée (éd. Fayard). Le 12 avril, elle donnera son nom à l’école Labarde, que je voyais de ma fenêtre dans les années 1960. Anne Sylvestre, une ambassadrice rêvée pour susciter le « mieux lire-écrire-parler » des élèves…

Juin 2017 (photo David Desreumaux)

On réduit trop Anne Sylvestre à ses chansons « pour enfants ». Si elle est fière de les avoir composées, elle n’a jamais voulu les interpréter en scène et elle a surtout écrit à l’intention des adultes. Étudiante en lettres, elle débute en 1957 au cabaret parisien La Colombe où elle croise Guy Béart, Jean Ferrat et Pierre Perret. En 1962, elle a déjà gravé deux albums (avec Mon mari est parti, Tiens-toi droit…) chez Philips, quand elle crée les Fabulettes (Hérisson, Mouchelette…). Elle fait alors la première partie de Gilbert Bécaud à l’Olympia et elle est co-vedette à Bobino en 1967 et 1969.
Dès 1974, à 30 ans, elle devient sa propre productrice et ses disques frappent fort avec Non, tu n’as pas de nom sur le choix ou non d’avorter, Une sorcière comme les autres (1975) sur le sort « ordinaire » des femmes dans l’Histoire et Les Gens qui doutent (1977), l’un de ses titres les plus repris aujourd’hui.
En 1985, c’est Écrire pour ne pas mourir et Trop tard pour être une star. L’émotion pure et l’humour. Anne a coupé ses cheveux, posé sa guitare et pris des musiciens qui l’accompagnent sur les scènes francophones. Soignant les mélodies comme les textes, elle croque des portraits de femmes (mais pas que), elle lance des alertes vitales (nature, nucléaire, droit à la différence…) sans jamais donner de leçons.
Et rebelote. Avec D’amour et de mots (1994), Les Grandes Balades (1998) et quatre nouveaux CD jusqu’à Juste une femme (2013) inspiré par l’affaire DSK. Avec encore des titres majeurs tels Gay marions-nous ou Les Rescapés des Fabulettes dédié à ce public qui, malgré le peu d’écho des médias, lui fait partout salle comble. En 2015, elle a publié son premier livre, un régal d’inventaire très personnel, Coquelicot et autres mots que j’aime (éd. Points). À suivre.
Tu as déjà donné ton nom à neuf écoles, qu’est-ce que cela représente pour toi ?
Au début, j’ai été très impressionnée, intimidée même. Après avoir refusé, je me suis dit « Pourquoi non ? » Ça m’honore et ça me fait plaisir. J’ai suffisamment écrit pour les enfants pour savoir qu’ils m’interpellent beaucoup et j’ai envie de transmettre le meilleur et de leur donner l’occasion de chanter des choses qui me passent par le coeur.
Cette école d’un quartier très populaire est fréquentée par des enfants d’origines diverses. Un peu comme ton quartier du 20e à Paris ?
Je ne me rends pas trop compte… Je n’ai pas vraiment eu le temps de repasser en mémoire toutes mes chansons qui en parlent. Dans les Fabulettes, il y a bien sûr Café au lait… Et je pense aussi à Vole-haut, à propos de l’école.
Je leur en ai suggéré quelques unes et je sais qu’ils ont transformé J’ai une maison pleine de fenêtres en J’ai une école pleine de fenêtres.
Ah, ah, c’est drôle, ça !
Le fait d’avoir donné ton nom à une école t’a-t-il déjà inspiré une chanson ?
Pas précisément, mais j’en suis très heureuse et fière. À Aubervilliers, un an après avoir inauguré une école, j’y suis retourné pour la visiter. À un moment, un gamin est venu vers moi et m’a demandé : « Comment tu t’appelles, toi ? T’es qui, toi ? » J’ai répondu : « Je suis Anne Sylvestre. » Et lui : « Anne Sylvestre ! Ben, tu t’appelles comme mon école ! » [rire] Ça ne leur dit pas grand chose, mais je pense que ça leur reste.
En 2017, tu as sorti 60 ans de chanson ! Déjà ?, un coffret de 19 CD dans lequel tu as laissé la place pour un nouveau disque. Il avance ?
Je suis en train d’y penser très fort ! Je suis en écriture…
Daniel Pantchenko

Salon du Livre de Paris, mars 2013 (photo Claudie Pantchenko

Le 11 juin à 19h, les élèves de l’école se produiront à la salle des fêtes du Grand Parc pour un concert exceptionnel autour du répertoire d’Anne Sylvestre. Ils seront, pour l’occasion, accompagnés par des musiciens de la faculté de musicologie. Parmi les chansons de la grande artiste, les parents auront également le privilège d’entendre une chanson écrite et composée « à la manière de » par des élèves de CP et CE1, en collaboration avec le conservatoire municipal dans le cadre des « classes artistiques ».

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1 Commentaire

  1. ALVAREZ Michel

    Petit histoire complémentaire: L’ école Cruse qui était un don de la Famille CRUSE comme l’on pouvait le constater sur la plaque en marbre en façade, accueillait avant 1963 tous les enfants ( une quarantaine) des familles qui habitaient autour, aussi des enfants venaient des communes environnantes, Blanquefort et même Parenpuyre pour essayer d’obtenir le certificat de fin d’étude primaire à l’ âge de 14 ans, cette école avait une très bonne réputation jusqu’ à ce moment là…….

    Michel.

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