Tout a commencé par une porte arrivée de nulle part et posée entrouverte dans le parc des Berges de Garonne. Cette ouverture sur la nature m’a intriguée, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’une œuvre d’un artiste contemporain. En posant quelques questions, j’ai découvert que c’était le « jardinier » de Bacalan, Fred Wartel, qui en était à l’initiative. Il a piqué ma curiosité alors j’ai voulu le rencontrer. Ma première question a bien sûr porté sur le sujet. Alors pourquoi une porte ? « Pour inviter les gens à porter leur regard sur une perspective, sur un paysage. » m’a-t-il répondu, une étincelle dans les yeux. Je venais de faire la connaissance de l’artisan de la terre humaniste du quartier.
De père lillois et de mère périgourdine, il est très attaché à ses racines car selon lui, on ne peut savoir où l’on va que si l’on sait d’où l’on vient. Il a appris à marcher sur la pelouse du cimetière militaire de Cléry-sur-Somme, c’est un souvenir qui l’a profondément marqué et qui l’a ancré.
Son amour pour son métier lui vient de son grand-père maternel, qui lui a tout appris de la nature, les mains dans la terre du potager familial en Dordogne. Son aïeul, très impliqué dans l’organisation de la Félibrée* lui a aussi transmis l’amour de l’Occitanie, en témoigne la croix occitane qu’il porte au petit doigt.
On ne peut pas dire que l’école lui ait beaucoup plu. Il a passé sa scolarité le nez dehors, à proximité de la fenêtre qu’il préférait au premier rang. Au collège, il a intégré une CPPN (classe pré-professionnelle de niveau), ce que sa mère, conseillère pédagogique d’éducation (CPE) au lycée professionnel viticole de Blanquefort, n’a pas forcément bien vécu. De cette période, il se souvient des cours de photo dispensés par son professeur de mathématiques, durant lesquels il a développé un certain regard et une manière de s’ancrer dans la réalité. Il a gardé cette habitude, encore aujourd’hui il prend des photos, avant et après ses interventions, comme pour garder une trace. Dès la fin du collège, il a suivi un CAP, un BEP de jardins et espaces verts le menant jusqu’en BTA (Brevet de technicien agricole). Il était enfin dans son élément, il allait pouvoir affirmer sa personnalité et devenir un trublion de la nature.
Il roule sa bosse jusqu’en 1998, où il devient jardinier pour la mairie de Bordeaux. On lui propose plusieurs secteurs, il choisit Bordeaux-Nord qu’il connaît. Il se souvient : « Je plantais des fleurs aux Bacalanais et je tondais la pelouse pour les petits. » Le quartier populaire de Bacalan , où l’on parle plein de langues, l’a adopté. Il s’y installe dans une petite maison à Claveau, reconnaissable entre toutes. Son devant de porte est une invitation à la réflexion, à l’échange, y cohabitent une sorcière, des messages, une boîte à poils de chiens et chats (aide précieuse pour la nidification)… Il envisage de dessiner une marelle. Autant de manière d’interpeller. Les fleurs y ont la part belle, il sème pour les autres, toujours et encore.
Depuis vingt-quatre ans, qu’il exerce son métier à Bordeaux, il a vu les choses évoluer bien sûr. Les méthodes de travail et d’appréhension de l’environnement se sont adaptées. Depuis les années 2000, tous les matériaux naturels sont réutilisés, les feuilles mortes placées au pied des arbres. Certaines branches sont laissées sur place pour créer des niches écologiques, refuges de nombreux petits animaux et insectes, les ronciers sont préservés. Il ressent une prise de conscience générale et la fibre écologique de certains élus. Son travail s’inscrit dans le respect des cycles naturels, on revient au bon sens paysan, en somme. On recycle. Tout ou presque repart à la nature, à la source, à la terre nourricière.
Une des grosses contraintes du quartier est la pollution de ses sols. Les anciennes entreprises et industries ont fermé mais ont laissé nombre de stigmates. Les essences d’arbres sont choisies en fonction de leur réactivité et de leur adaptation. Un spécialiste de l’Office national des forêts (ONF) opère une lecture des arbres et pose des diagnostics. Beaucoup de feuillus ont été plantés pour recréer le milieu naturel. Le réchauffement climatique, il le constate et le vit au quotidien. Depuis 2016, il ne connaît plus de pause de tonte de l’herbe, elle repousse en permanence, la nature est trop sollicitée, elle s’épuise. Dans le Parc des Berges de Garonne (une part de la zone dont il s’occupe), il peut exprimer sa passion et s’adonner à la préservation de l’angélique des estuaires, plante endémique et espèce protégée. Depuis quelques jours, un parcours pédagogique a été installé, via de jolies pancartes, et si vous vous attardez bien sur le premier visuel, vous pourrez y lire son nom… Alors n’hésitez plus, poussez la porte de la nature.
* Cette grande fête occitane a pour but de mettre en valeur la langue, la musique, les danses et les chants traditionnels occitans, mais aussi d’être une vitrine des savoir-faire de Dordogne.
Marjorie Michel et Lucie Chainot
Photographie : Lucie Chainot
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