Entouré de son épouse Germaine – née dans le quartier – et de ses enfants, Sabatino Schinazi a pratiqué la médecine générale à Bacalan de 1921 à 1942, avec un dévouement remarquable et une haute compétence. Les témoignages sont multiples pour celui qu’on appelait « le médecin des pauvres ».
Malheureusement, intégré au fichier juif, il a été arrêté en juin 1942, emprisonné 17 mois à Mérignac, déporté à Drancy, pour être livré au camp de concentration d’Auschwitz en décembre 1943. Il décèdera le 25 février 1945 lors de la débâcle nazie et des changements de camp décidés en urgence, dans les conditions horribles de ces assassinats à petit feu.
Le nouvel hommage qui lui a été rendu le 29 septembre dernier avec la pose de ce pavé mémoriel initiée par la ville de Bordeaux, s’inscrit dans le respect du passé, le devoir de mémoire. Avec la stèle près du bureau de Poste de la rue Achard et l’avenue Schinazi elle aussi proche, obtenue en 1983 grâce à l’action durable de Pierre Brana*, nous essayons de nous associer à la douleur de la famille de Sabatino.
Simultanément, notre travail mémoriel se fixe de faire part des co-responsabilités et des complicités qui expliquent ce destin funeste.
Grâce aux documents que nous a remis Michel Slitinsky** en 1986, nous avons enquêté et recueilli différentes archives. Et le diagnostic est pour nous incontournable et implacable : l’Ordre des médecins de Gironde a devancé les gouvernants français collaborateurs et l’occupant nazi. Il a de son propre chef stigmatisé et « éliminé du corps médical, sans faiblesse, ce métèque, cette recrue foncièrement indésirable pour la médecine française… qui de plus, dans le quartier ouvrier où il exerce a pactisé avec les éléments avancés qui ont fait tant de mal à la France… » (cf. les déclarations de Pierre Mauriac, qui était à l’époque président de l’Ordre des médecins de Gironde, mort tranquillement dans son lit en 1963, auprès des siens…).
80 ans après, nous continuons de penser que l’inacceptable ne peut être banalisé, au risque de le revivre… Et tout en réfléchissant avec la famille et ses différents soutiens à d’autres projets mémoriels, tout en maîtrisant notre émotion et notre colère, nous attendons que l’Ordre des médecins de Gironde reconnaisse et assume publiquement son passé sombre.
Vidéo réalisée par Philippe PELISSIER, produite par l’association LaSantéUnDroitPourTous.
Bernard COADOU,
Médecin ayant exercé dans le quartier de 1983 à 2011.
*Homme politique et écrivain, ancien député, maire honoraire d’Eysines, auteur de Une jeunesse Bacalanaise.
** Écrivain, historien et grand résistant. Il a réuni des milliers de documents qui ont conduit au procès Papon. Porte-parole des parties civiles lors du procès, il est l’auteur entre autres de L’Affaire Papon et de Procès Papon, un devoir de mémoire.
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