Il y a quatre-vingts ans, le 17 mai 1943
Ce 17 mai 1943, je sortis tout guilleret – il faisait si beau – de mon école primaire Blanqui, un bâtiment austère situé place Buscaillet. J’allai déjeuner chez moi. J’empruntai la rue Blanqui jusqu’au boulevard Brandenburg, puis tournai à gauche sur le boulevard jusqu’à la place Mareilhac, lieu mythique de l’annuelle fête foraine de Bacalan, enfin m’engageai rue Léonie, jusqu’au 23. Un trajet que j’aurais pu faire les yeux fermés, l’empruntant depuis des années quatre fois par jour…
A la maison ma mère, couturière à domicile, finissait de mettre le couvert. Comme tous les jours, elle me demanda si tout s’était bien passé, et je lui racontai ma matinéequandsoudain,dans unvacarmeassourdissant, la maison se mit à trembler. Nous fûmes tous les deux tétanisés, sidérés, puis, nous nous précipitâmes sous
le linteau de la porte de la cuisine, comme mon père nous disait de le faire à chaque bombardement. Nous en avions déjà subi mais jamais en plein jour, jamais si près. Jamais un tel vacarme, de telles secousses ! Six minutes, comme on nous le dit après ? Non, l’éternité… Mon père arriva revenant de l’usine à gaz, et nous pressa contre lui. Il était blanc de poussière. Le souffle de l’explosion l’avait fait tomber de son vélo.
C’est alors que le plafond de la salle à manger s’effondra. Je crus qu’une bombe venait de tomber sur la maison. Mais non. Quelques étagères chutèrent. Puis, subitement, le silence. On sortit, hagards. Autour de nous, des fumées noires, des colonnes de poussière, une odeur de brûlé. Couverts de plâtre, nous errions comme des clowns blancs, mais personne n’avait envie de rire.
Des consignes arrivèrent vite. Il fallait évacuer le quartier. Mes parents prirent alors la décision d’aller à Léognan chez ma grand-mère maternelle, vigneronne. Dès l’après- midi, nous partîmes. Je vis alors un énorme cratère place de l’Etoile (l’actuelle place René Maran), si près de chez nous, et des maisons détruites, des ambulances.
De ce moment si court, je gardai longtemps une peur panique des orages, du tonnerre, des éclairs, héritage traumatique de six minutes que je vécus comme un enfer.
Pierre BRANA
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