« Trouver les mots »
À la Régie de quartier Habiter Bacalan, nous nous réunissons régulièrement en équipe pour réfléchir ensemble aux parcours de nos salariés et trouver des solutions à leurs problématiques de vie et d’accès à l’emploi. Un constat revient souvent dans nos échanges : le sentiment que nos salariés ont parcouru un long chemin jalonné d’obstacles et de stratégies de survie. Cette réalité est particulièrement palpable dans les parcours de nos salariés migrants ou réfugiés. On ne peut imaginer le nombre d’années nécessaires pour mener à bien son exil. Outre le déchirement de la séparation avec ses proches et le sacrifice matériel que cela représente, quitter son pays d’origine n’est que la première étape d’une odyssée sans fin, d’un pays à l’autre, avec toujours cette difficulté à se faire comprendre et la crainte d’être trahi ou utilisé par des mains en apparence tendues. L’obtention d’un statut de réfugié est ensuite un autre parcours d’obstacles. Pour faire valoir son dossier auprès de l’OFPRA, il faut savoir se raconter et fournir des preuves d’une menace réelle dans son pays d’origine. Les plus à l’aise avec les mots s’en sortent toujours mieux.
En tant que professionnels de l’insertion, nous savons que mettre des mots sur ces expériences est souvent trop douloureux et nos questions sont dictées uniquement par les nécessités de leurs démarches administratives. En les accompagnants, on devine l’amertume et les déceptions, mais la résilience est souvent plus forte que le reste. L’envie d’avancer, de poser ses valises, enfin. Nous sommes parfois surpris qu’ils réussissent à nous faire confiance, après de multiples désillusions.
Rashed HASSAN ELDDAI est salarié de la Régie de quartier depuis quatre mois. Il est discret, positif et souriant. Pour le moment, il nettoie les résidences Mésolia au Port de la Lune tout en travaillant avec son accompagnatrice socio-professionnelle sur son projet post-Régie, celui de devenir coiffeur. Pour parler de son vécu, Rashed a choisi d’écrire et d’interpréter des chansons. Il chantait déjà dans son pays d’origine, le Soudan, lorsqu’il était adolescent, il aimait interpréter ses textes dans les rues, les fêtes et les mariages, aux côtés de son ami Osman. On ressent lorsqu’il le raconte toute la nostalgie d’une époque joyeuse, insouciante. Il chante en arabe mais il espère pouvoir
chanter en français un jour. Rashed est originaire de Khartoum. Lorsqu’il a quitté le Soudan, il avait tout juste 20 ans, c’était un jeune homme encore peu armé pour affronter un tel exode. Aujourd’hui, c’est un homme de 31 ans et il commence juste à espérer créer de nouvelles racines quelque part. Après une étape de six ans en Égypte puis d’un an en Libye dans un contexte de guerre et d’exploitation des migrants, il traverse la Méditerranée et arrive enfin en Italie, puis en France en 2017. Nantes, Paris et Bordeaux. Dans les textes qu’il écrit, Rashed souhaite faire entendre une réalité qui n’est malheureusement racontée qu’en gros titres de presse, lorsque qu’un bateau échoue en pleine mer avec des centaines de morts. Rashed est un survivant, il raconte le courage de ceux qui ont fui avec lui. Il raconte leur ressenti à chaque étape, leur peur, leurs espoirs et surtout, la multitude d’obstacles pour essayer de se reconstruire. Lors des quelques mois qu’il a passés à Paris, Rashed a réussi à produire un clip avec un collectif musical, sa chanson a été diffusée à l’Assemblée Générale de la Régie de quartier fin juin 2023 et peut se visionner sur Youtube sous le titre « MCRT Chansat Baris ».
Pour le moment, Rashed ne compose plus, il évoque avoir des problèmes à résoudre et souhaite d’abord trouver un logement pour pouvoir reprendre la musique. Son travail artistique mérite d’être connu et relayé. Son projet dans la coiffure également. Merci à Rashed d’avoir partagé son parcours avec nous et avec vous, lecteurs et lectrices de ce journal.
Hélène CAZALIS
Extrait de sa chanson « Chances »
« Où on était où
Où allons-nous
D’un train à l’autre
On n’était pas pour
Traverser les mondes pour sa vie
D’un monde à l’autre sans argent
Quand tu montes dans un train tu retiens ton souffle
Par peur de la police
Un coup de sifflet
Les portes se ferment
Le train du destin est en marche
A chaque changement de direction se dessine un
Possible destin
En partant on avait un rêve, un petit rêve
Pas le rêve d’un bourgeois, ni celui d’un ministre
Je suis exilé. Nous sommes exilés
Pour survivre nous sommes partis
Du Soudan à la Libye de Milan à Paris »
0 commentaires