La maison d’édition Pleine Page vient de sortir un petit ouvrage à dévorer cru. Bacalan d’hier ou la petite histoire du XXe siècle, à voir et à lire. Souvenirs de femmes (article publié le 05 février 2009)
Bacalan se souvient bien
Elles sont toutes là. Assises genoux bien serrés. Avec le petit livre tenu entre leurs mains, comme un missel à la messe. « Bacalan d’hier ou la petite histoire de Bacalan au XXe siècle » sort tout chaud de l’imprimerie. Didier Periz, astucieux éditeur, de la maison Pleine Page a pour l’occasion organisé une « braderie party » dans ses locaux de la rue Jacques-Cartier. Il y a du café chaud, des crêpes et des livres à gogo. Il y a surtout, des Bacalanais de souche qui n’ont pas perdu la tchatche.
Footballeur et pêcheur
En rang d’oignons, 82 ans de moyenne d’âge : Rolande, Josette, Louise et Paquita. De la bonne gouaille et l’envie d’en découdre avec l’ histoire du quartier. « C’est toujours les hommes qu’on écoute, et nous alors ? » Josette Tylipski, 85 ans, veuve du joueur professionnel de football, Roland Tylipski. Et toujours fière. « Mon Roland, il gagnait pas beaucoup d’argent, mais à cette époque il mouillait le maillot pour l’honneur. C’était un vrai sportif. On vivait de son salaire de joueur. Autant dire qu’on ne finissait pas le mois, les joueurs célibataires mettaient la main au porte monnaie pour nous aider. Sinon, il pêchait l’alose. »
Nés ici ou nés ailleurs
Josette est née à Bacalan en 1923. Son père était commerçant, sa mère faïencière. Elle n’a jamais voulu vivre ailleurs. « Comme partout, Bacalan a changé, mais j’aime mon quartier. Le cœur est toujours là. Au-delà de nous, je veux que Bacalan conserve son esprit jovial et solidaire… et de politesse. »
Rolande, née ici. Elle le dit et le répète. « Bacalan c’est moi, ma vie. Il y a ceux qui sont nés à Bacalan et les autres. » Vaguement chauvine, Rolande assume avec humour et raconte en une anecdote, l’esprit bacalanais. « Quand j’étais jeune, il y avait à Claveau, chez moi, une mère qui venait de mourir en couche avec son bébé, en laissant trois petits à la maison. Vous croyez qu’on est allé chercher la Ddass ? Sans même discutailler, le père a repris son boulot à l’usine et les mères voisines se sont occupé des gosses. L’une qui habille le matin et fait le petit-déjeuner, l’autre qui amène à l’école, une autre pour faire le linge, et encore une pour assurer les repas. Oui Madame. »
Dans la foulée, elle raconte comment Didier Périz lui a confié une bonne trentaine de « prospectus » pour inviter des amis à la présentation du livre. « J’ai mis dans les boîtes à lettres. Regardez, ils sont tous là. Fidèles. »
Vaillantes et fêtardes
D’ailleurs voilà Louise. 76 ans. Elle vit à Mérignac et « regrette son quartier ». « Je reviens évidemment, mais ce n’est pas pareil. J’ai travaillé toute ma vie à la raffinerie Beguin-Say, comme 60 % des Bacalanais. On était vaillants à Bacalan , il fallait bosser pour gagner sa vie, même les femmes. Mais il y avait du boulot partout. T’arrêtais ici, hop le lendemain t’étais embauché à côté. Et puis, quel enthousiasme! À la raffinerie, quand on recevait une prime on buvait un coup. Si jamais on nous supprimait la prime… on buvait un coup. Et les bals au coin des rues, j’en ai usé des semelles! Les fêtes de quartier duraient trois jours. Trois à danser, avec l’élection de Miss Bacalan , les courses en sac et le mât de cocagne. ».
Didier Périz boit du petit lait. Son livre fait mouche. « Cet ouvrage précède la sortie à la fin de l’année d’une grande histoire de Bacalan . Pour réaliser ce petit opuscule, j’ai demandé à des gens d’ici de me prêter des documents photographiques personnels qui racontent la ville depuis le début du siècle jusqu’aux années 90. En plus des photos, ils m’ont raconté l’ histoire à leur manière. » Il y a des rues, des lieux, des gens. Et beaucoup d’anecdotes. Des usines aussi. « Le quartier des gazistes, celui des dockers et celui des douaniers», se souvient Paquita. Elle a 86 ans et travaillé à la SAFT toute sa vie, elle a élevé seule ses trois enfants, lorsque son mari est mort. « Une vie dure ? Je ne sais pas. On était moins exigeant; on faisait avec ce qu’on avait… Maintenant, je fais comme tout le monde, je suis le mouvement. On s’aidait beaucoup, quand il y avait un coup dur. À charge de revanche. On se fréquentait entre voisins et on se sentait moins seuls. » Elle regarde ses vieilles copines du coin de l’œil. Tout le monde approuve. Puis leur dit : « Moi j’aimais tant ces soirées d’été, où l’on mettait les chaises devant la porte avec les gosses qui jouaient dans la rue. On ne le voit plus ça aujourd’hui. » Ce petit livre coincé entre leurs mains représente tout ça. Des souvenirs d’une vie pas facile, mais joyeuse. Rolande précise : « Nous avons relu les textes de Didier, pour conserver la vérité. Tout ce qui est dit là est vrai ! »
« Bacalan d’hier ou la petite histoire de Bacalan au XXe siècle » Pleine Page Éditeur. 10 euros. En vente dans toutes les librairies, même ailleurs qu’à Bacalan .
Auteur : ISABELLE CASTÉRA
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