C’est une bûche de chêne !
Elle a l’air solide vu d’ici. Pourtant, un coin de métal dans le sens du fil, un bon coup de cognée et le merlin pénètre le bois.
Pareil pour la mélancolie !
Un jour d’Octobre, t’as plus envie de fuir encore les dernières
« Feuilles mortes » et d’attendre le prochain « Temps des cerises »
Tu lâches prise sans méfiance, un interstice complice accepte l’intrusion du fer qui s’immisce dans le végétal ligneux ou la pompe bien planquée dans sa cage thoracique.
C’est bon! La mélancolie s’est installé et te fend en deux.
Arnaud Stalgie chemine le long du fleuve à marée basse.
La Garonne à découvert, c’est une rencontre Meetic qui se déloque. Au premier rencard et vêtue de marée haute, elle avait l’air bien foutue.
Pour son rendez-vous avec l’océan, elle a dénudé ses berges et ce sont les épaves des vasières et les bers squelettiques brunis de limon, surgissant dans une sincérité impudique, qui attendent la couverture décente de l’étale dans le sursis de l’été indien.
Arnaud attend esseulé Minima de Malis, son alter Ego qui solde sa peine de 35 heures, otage docile du capitalisme avant la permission de sortie du week end.
« On ira où tu voudras
quand tu voudras…… »
Hors les murs de cette femme forteresse qui le rassure, Arnaud Stalgie, vulnérable, remplacerait volontiers Jo Dassin par Rachmaninov, plus classe, si son « Prélude » se fredonnait.
« On ira où tu voudras
quand tu voudras…. «
…..On ira… Nulle part sans les fantômes du passé, les portées disparus et les perdues de vue, les enfances volées et les familles dispersées. Visiteur d’ hostos, suiveur de corbillards, voyageur sans bagages mais pas sans mémoire de toutes ces vies trop impatientes, imparfaites et inachevées.
La dictature de la mnésie (1), sœur de Némésis(2), s’engouffre dans la brèche avec son cortège de passantes.
Aquaboniste, désabusé, un genou à terre, Arnaud morfle chaque seconde de cette armée du temps qui aura sa peau.
Personne pour négocier un sursis, un reste de jeunesse contre un supplément d’âme, paumé dans ce labyrinthe condamné à vie sans le secours du fil de cette gourde d’Ariane qui s’est mise au Bluetooth.
Dans les entrailles d’un frigo vide, j’ai trouvé des ingrédients disparates pour une improvisation culinaire.
Tandis que cuisait des Belles de Fontenay (de vulgaires patates comme tout ce que produit la Fontenay) dans de l’eau additionnée d’une poignée de gros sel, j’ai émincé deux escalopes, épépiné quelques tomates et un poivron rouge, pelé un oignon, égoussé deux aulx, réchauffé une cuiller d’huile d’olive, bruni les oignons, entremis la rencontre des escalopes et des lamelles d’oignons frissonnantes de saisissement, dans l’alcôve d’une bien nommée sauteuse.
J’ai déglacé avec la sève des ex-pommes d’amour.
J’ai pelé et découpé les pommes de terre que j’ai fini de cuire dans la chair et le jus des tomates, parsemé la surface de grains de maïs pour la couleur et posé les escalopes par dessus.
J’ai couvert et confié la suite à la garde bleutée du gaz à feu très, très doux.
Avec l’idée qu’il manquait un truc, je suis sorti dans le jardin:
j’avais deux stères de nostalgie à fendre.
A mon retour, la réponse m’attendait sous la forme torturée d’un tubercule ami.
Sans le peler, j’ai répartie à la surface de ma mixture de fines et larges lamelles aromatiques de mon pote Ali Bido, le gingembre.
Histoire de pourfendre la mélancolie si elle s’avise de repasser par là.
1) Amnésie, sans son A privatif c’est donc la mémoire. Que celui qui n’a jamais péché par néologisme … surtout quand il s’agit d’éviter une répétition du mot « mémoire » deux lignes au-dessus.
2) Déesse de la mémoire …..ou de la rancune
Serge PRADOUX
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