Le 31 juillet dernier, devant le célèbre café du Croissant, le sénateur Fabien Gay*, directeur du quotidien l’Humanité, prononçait un discours d’hommage à Jean Jaurès, son illustre prédécesseur fondateur du journal, assassiné en ce lieu en 1914. Ceux qui s’intéressent à la vie parlementaire et politique, connaissent ce jeune sénateur de Seine Saint-Denis, mais peu savent que derrière l’homme public, il y a un enfant de Bacalan. Nous l’avons sollicité et voici son témoignage.
Bacalan, c’est toute ma jeunesse. Des souvenirs me reviennent par milliers. Des images précises, qui me rappellent du bonheur, des rires, des amis, que je n’ai pas revus depuis plus de 20 ans. Des visages, mais aussi des lieux qui ont pour la plupart disparu avec le temps ou le renouvellement urbain.
Ma première image, c’est la Cité Lumineuse, entrée C, 11e étage, côté Garonne. L’appartement de ma grand-mère Rolande Vernejoul, Bacalanaise de toujours. L’entrée, la cuisine, le salon où elle fumait ses gitanes sans filtre. Et la chambre, où transformée en petite souris, ma grand-mère me glissait un billet de 20 francs sous l’oreiller quand je perdais une dent.
La Cité Lumineuse, c’était aussi les jeux du bas avec les toboggans qui me semblaient immenses, où l’on se retrouvait les mercredis ou après l’école. Le terrain de football avec la poussière où les grands rêvaient que l’Équipe de France gagne la coupe du monde. 1998 était encore loin. Le club de pétanque avec les vieux qui refaisaient le monde. Les grandes allées qui traversaient d’immenses pelouses. J’y ai appris à faire du vélo. La suppression des petites roues et au bout d’une longue chevauchée de quelques mètres, la chute. J’en garde une trace au genou. Les balades jusqu’à la Garonne, où les jeunes pêchaient à l’épuisette des petites crevettes grises.
Et aussi les « goûters » au bas de la tour avec les voisins et les amis. Et puis au bout de la cité : la poste, service public de proximité. Je passais tous les jours devant, et tous les jours la moitié de la cité se retrouvait pour envoyer du courrier, payer une facture, envoyer un colis ou retirer de l’argent. Amazon n’existait pas et les colis devaient être retirés au bureau de Poste. Le timbre rouge devait couter deux francs trente.
Je me rappelle aussi la rue Achard, mon chemin de l’école. Les commerces de proximité, où tout le monde se connaissait. La mercerie Regnier où ma grand-mère s’arrêtait régulièrement pour m’acheter une « pièce » pour rafistoler mes pantalons. Le boucher Birlichi et ses bons steaks hachés. La fleuriste, la boulangerie Massoni pour la chocolatine, l’épicerie Spar. Le vendredi c’était jour de marché au bas de la Lumineuse. Le dimanche, c’était la pâtisserie de Mme Lacaule et ses sublimes gâteaux, place René Maran.
Mon école Achard : maternelle et élémentaire. Mme Tachou et son mari Pierre qui plus tard me donnera des cours particuliers de français pour m’aider au collège. Un grand militant communiste du quartier, dont la salle porte le nom rue Joseph Brunet. J’ai toujours le cœur serré lorsque je passe devant. Mes amis Ali, Rachid, Kevin, Jeremy, Nawall, Delphine…et beaucoup d’autres. Je me souviens des parties de billes dans la cour, des spectacles de fin d’année place Buscaillet, où se trouvait la salle de judo dans laquelle j’ai pratiqué pendant quatre ans. Je me souviens aussi d’un évènement lorsque j’avais cinq ans, où nous avions fait un grand défilé dans les rues de Bacalan, pour célébrer le bicentenaire de la révolution. Nous étions habillés en sans-culottes.
De l’école Achard j’ai encore en mémoire toutes les classes. J’aimerais bien la revisiter. J’ai toujours plaisir d’apercevoir la plaque sur fond jaune que nous avions inaugurée avec ma classe. Je crois qu’il y avait eu un concours de dessin gagné par notre classe. Nous étions si fiers.
Bacalan, c’est mon quartier. Encore aujourd’hui, quand on me demande où je suis né, je ne réponds pas Bordeaux, mais Bacalan. Quartier ouvrier emblématique de Bordeaux, quartier de lutte avec le port, des syndicalistes et des militants communistes actifs à l’époque dans la vie du quartier. Il m’a forgé, il m’a appris l’ouverture sur le monde, il m’a appris que nos différences sont une force et une richesse.
Le quartier se transforme. Que chaque nouvelle Bacalanaise et chaque nouveau Bacalanais s’imprègnent de cette histoire où perdure l’ouverture d’esprit et la solidarité de la classe ouvrière… d’où que l’on vienne.
Propos recueillis par Christian Galatrie
*Sénateur de Seine Saint-Denis depuis 2017, Directeur de l’Humanité depuis 2021.
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