Des habitants de Bacalan connaissent le nom de René Maran pour l’avoir vu inscrit sur les bus traversant leur quartier, sans savoir exactement qui était cet homme. Certains parmi ceux qui le connaissent interviennent aujourd’hui pour que son nom soit donné à la future bibliothèque. L’histoire, mais aussi la personnalité de cet écrivain, justifient fortement ce choix.
D’origine guyanaise, René Maran est né en 1887 à Fort de France. Emmené en Oubanghi Chari dès son plus jeune âge, son père étant fonctionnaire colonial, René n’a que très peu de souvenirs de cette petite enfance antillaise et africaine. À l’âge de huit ans, il est mis en pension à Bordeaux, tête de pont à l’époque pour les liens entre la métropole et les colonies. Ses parents « abandonnent » alors leur petit garçon à l’école de la République. C’est un déchirement pour eux, une fracture terrible pour René, mais ils estiment cette décision nécessaire : sa grand-mère était esclave et a vécu l’abolition définitive de l’esclavage en 1848. Leur fils est un Français comme les autres, il doit donc pouvoir bénéficier de la meilleure éducation. Il n’en demeure pas moins qu’il doit prouver qu’il est à la hauteur des ambitions de son père, lequel a réussi à s’élever dans l’échelle sociale en devenant fonctionnaire de l’État, colonial de surcroît.
René Maran se considère comme un Bordelais et ne se voit pas autrement que « blanc » : il connait mieux la langue et la littérature française que la plupart de ses camarades. Il reçoit le Prix Goncourt, premier noir à obtenir cette distinction, en 1921, pour Batouala, le Mokoundji. Coup de tonnerre dans le paysage serein des colonies, dans sa préface, René Maran éreinte le joug colonial français sur l’Afrique, parlant de crimes, de tyrannie, de destruction de civilisations. Cette préface met fin à sa carrière de fonctionnaire colonial et fait de lui un paria. Donner son nom à la bibliothèque de Bacalan serait le premier pas dans l’écriture de l’histoire du colonialisme bordelais à la suite de celle du commerce négrier.
Agathe Rivière Corre
Les éditions « bacalanaises » du Festin viennent de rééditer Le Cœur serré, préfacé par Agathe Rivière Corre. C’est un roman poignant écrit par René Maran, dix ans après avoir obtenu le prix Goncourt. C’est le seul ouvrage de l’auteur qui a pour cadre Bordeaux et la Gironde.
Le Cœur serré, Éditions du Festin, 186 pages, 15 €.
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