Nous vous invitions dans le dernier numéro à faire le tour des Bassins à flot. Nous vous proposons d’élargir vos balades au cœur du bâti du quartier. Déambulez dans les sentes paysagées, faites-vous guider par un éclaireur urbain qui vous racontera le quartier au travers de ses habitants et ses anecdotes, ou une médiatrice culturelle qui saura faire des pauses dans le parcours pour zoomer sur un objet particulier et vous le raconter avec passion.
Dossier réalisé par : Frédérique Hoerner, Gérard Lefèvre. Photos : Aurélien Benjamin, Gérard Lefèvre.
Balade dans les sentes
Profitons d’une journée ensoleillée, pour zigzaguer parmi les sentes autour des Bassins à flot.
Le côté sud :
Rue Lucien Faure, le pont Chaban-Delmas dans notre dos à la hauteur de la place Alice Girou, démarrons notre parcours dextrorsum (dans le sens des aiguilles d’une montre.) :
1ère sente à gauche :
La sente de la Désirade.
La Désirade, île découverte par Christophe Colomb au cours de son deuxième voyage, en 1493. Elle devrait son nom au soulagement des membres de l’équipage apercevant la première terre ferme depuis leur départ des Îles Canaries. Tournons à droite rue de la Faïencerie face au Theatro, célèbre lieu festif, chargé d’histoire.
Ancienne manufacture dont elle tire son nom, la Faïencerie installée par David Johnston en 1835 deviendra un des fleurons de la production industrielle de faïences en France. Le lieu fermera ses portes en 1895, pour devenir par la suite un lieu de stockage de barriques, une salle d’embarquement sur la Garonne et enfin une blanchisserie industrielle. Véritable symbole de la révolution industrielle, son caractère brut fait de ce lieu un témoignage vivant de l’histoire des docks de Bordeaux, en ayant gardé tout le style de l’architecture Eiffel du XIXe siècle. La salle de la Faïencerie est la plus grande salle de réception de caractère en plein centre-ville de Bordeaux, avec 1200 m2 modulables.
Passons :
La sente des Pêcheurs.
Fermée comme la précédente, certains soirs de fin de semaine, pour limiter les déambulations des noctambules et réduire les nuisances auprès des riverains.
Tournons à gauche rue Charles Durand jusqu’à la rue Bourbon longeant « la Halle Bourbon-Faïencerie » avec sa charpente en bois : on y stockait des machines ou des matériaux sous de grandes hauteurs et sur plusieurs travées.
Face à nous :
La sente des Marquises
Les îles Marquises découvertes par le navigateur espagnol Alvaro Mendana de Neira, le 21 juillet 1595. On y trouve les chutes d’eau de Vaio de 350 mètres, la cascade la plus haute du Pacifique. Si elles ont été rendues célèbres par Paul Gauguin arrivé en 1901 et Jacques Brel en 1975, tous deux en quête de paix intérieure. Elles auraient pu l’être par Herman Melville, jeune marin qui essayait de fuir un bateau où il était persécuté. Secrètement, il débarqua sur une île réputée impénétrable. Il a vagabondé seul puis fut recueilli par le clan des Taipi, qu’il prenait pour des cannibales. Presque oublié après sa mort Herman Melville est redécouvert dans les années 1920 à travers son œuvre maîtresse Moby Dick. Il est désormais considéré comme l’une des plus grandes figures de la littérature américaine.
Tournons à droite rue Bourbon, arrivés rue Dupaty, découvrons les premières fresques de street-art qui décorent le quartier.
La sente des Compagnons.
Comme les mousses, les compagnons désignent les plus jeunes. Le mot « matelot », signifie en vieux langage hollandais « compagnon de couche ». Ces noms sont choisis pour les deux sentes qui devaient desservir le groupe scolaire prévu entre les rues Bourbon et Faïencerie. Sur la gauche des fresques ornent les murs sur plusieurs mètres de hauteur, nous prenons à droite, longeant de nouveau l’îlot Bourbon relié directement à la rue Lucien Faure par…
La sente des Mousses
Un mousse est un apprenti marin de moins de 16 ans chargé des corvées sur un navire.
La sente des Compagnons offre à son extrémité une vue sur le Jardin des écluses investi par les étudiants comme campus et « La Dame Food&Club », navire rouge et noir, lieu festif. Dirigeons-nous à gauche rue de la Faïencerie et passons par :
La sente des Mariniers
Pour rejoindre sur notre droite :
La sente des Gabarres
Gabarre ou gabare Embarcation plate et pontée qui sert, sur les rivières et dans les ports, aux transports des marchandises, à charger ou à décharger les navires. Ou filet à mailles serrées, dont on se sert à l’embouchure des cours d’eau.
À gauche la rue Lucien Faure, traversons le cours Balguerie- Stuttenberg.
Pierre Balguerie-Stuttenberg (1778-1825) était un négociant et un armateur bordelais.
Sous l’Empire, au commerce de la toile, il ajoute celui du vin et spécule sur les denrées coloniales. Il est aujourd’hui controversé à cause de l’armement de navires utilisés dans la traite négrière. Cela contribuera fortement à son enrichissement. Sous la Restauration, il fonde la Banque de Bordeaux. Il crée la Caisse d’épargne et de prévoyance en 1824 et distribue une partie de ses bénéfices aux pauvres.
En 1816, il prend la tête d’une association d’armateurs et de négociants bordelais afin de construire le pont de pierre, qui nécessitait un financement complémentaire à celui de l’État. L’association propose au gouvernement d’apporter deux millions de francs pour continuer les travaux. En échange, une concession de l’exploitation du pont serait accordée pendant 99 ans avec un droit de péage. L’État accepte cette offre.
En avril 1818, la Compagnie du pont de Bordeaux est créée. Sur le côté droit l’hôtel Radisson Blu avec sa terrasse qui offre l’une des plus belles vues, à 180° sur les Bassins à flot.
Sur notre gauche :
La sente des Canis
Elle constitue une exception notable, car elle tire son nom de la rue Canis* qui existait depuis bien longtemps, transformée en sente des Canis puisque cette voie présente les mêmes caractéristiques que les autres sentes. Elle a la particularité d’avoir des maisons individuelles.
(*) La délibération de la mairie qui acte cette transformation en 2015 stipule : Canis est un nom d’origine inconnue.
Arrivés rue de la Faïencerie, orientons-nous sur notre droite jusqu’à :
La sente des Carrelets, qui offre à son extrémité une perspective sur la grue Wellman.
Un carrelet est une cabane de pêcheur, les pieds dans l’eau, construite en bois sur pilotis et reliée à la rive par un ponton ou un grand filet carré, suspendu à un mât, descendu et remonté à l’aide d’un treuil et d’un contrepoids. On trouve les carrelets le long de l’Estuaire de la Gironde et sur le littoral charentais.
Le côté nord :
Traversons la rue Lucien Faure, approchons-nous des Bassins. Sur notre gauche « Quai des Caps » où prochainement commerces et cinémas verront le jour, sur la droite l’inévitable I-Boat, ancien ferry, « La Vendée », reliant le continent à l’île d’Yeu, fréquenté tant par ceux qui veulent se restaurer ou boire un apéritif que par les noctambules. Face à nous, la Base sous- marine lieu historique laissant son passé martial pour évoluer vers un présent culturel.
Le pont du Pertuis.
En acier, du type Eiffel ce pont à culasse, de 25 mètres de long, a été construit en 1911. Peu avant sa démolition en 2008 il est classé, « patrimoine remarquable » par l’Unesco. Aujourd’hui, il est remplacé par ce nouveau pont dont la partie mobile est ramenée à huit mètres.
Pertuis : ouverture pratiquée pour permettre le passage des navires ou l’écoulement de l’eau. Les pertuis jouent le rôle d’évacuateur de crues.
Ici est l’un des points de vue le plus complet des Bassins, d’un côté le port de plaisance, la Base et les chapiteaux de l’école du cirque, et de l’autre la grue Wellman qui domine face à l’ancienne tour de contrôle du pont.
Entre les cinémas et les Bassins, la science-fiction nous environne et fera rêver les plus jeunes, imaginant la base comme le repère des X-men, point de départ des sous-marins. De l’autre côté au fond trône le vaisseau spatial digne de La Guerre des mondes, et devant nous les grues sorties tout droit des films Transformers.
Repartons entre la Base et le bassin N° 1 pour tourner à droite : Quai Hubert-Prom.
Jean-Louis Hubert-Prom est un négociant, armateur et homme politique, français, né et mort à Bordeaux (1807-1896). Avec son cousin Hilaire Maurel, ils fondent au Sénégal la société Maurel et Prom qui s’intéressa dès 1841 à la commercialisation de l’arachide en France. Revenu à Bordeaux en 1844, il est juge puis devient de 1885 à 1890 président du tribunal de commerce de Bordeaux. Les familles Prom et Maurel possédaient une huilerie 112 quai de Bacalan.
En 1963 une fusion s’opère avec la Sté Lesieur.
Sur la gauche :
La Sente des Caboteurs
Un caboteur désigne à la fois un navire et un marin
effectuant une navigation sur
une courte distance, le long des côtes pour l’acheminement de marchandises ou de passagers. Puis sur la droite :
Le Passage de la Nelly
La Nelly, clipper mythique dans la mémoire des Bordelais.
Construit dans les chantiers des bords de Garonne, fleuron de la flotte au XIXe siècle du négociant Daniel Guestier.
En face
La rue Lucie Aubrac
Lucie Aubrac : Résistante. Ce terme glorieux est insuffisant tellement cette femme fut héroïque. Partagée entre amour et patriotisme, elle a œuvré au plan politique et fait acte de bravoure pendant la seconde guerre. Digne des plus beaux romans d’aventures, sa vie devrait donner à tous l’envie de lire sa biographie. (Voir journal N°52)
Sur la droite :
La sente Saint-Pierre-et-Miquelon
Saint-Pierre-et-Miquelon est le seul archipel français, en Amérique du Nord. Situé dans le golfe du Saint-Laurent, près du Canada, c’est aujourd’hui une collectivité d’outre-mer.
Il reste le dernier vestige de la Nouvelle-France perdue lors de la guerre de Sept Ans au milieu du XVIIIe siècle.
Continuons vers :
La sente des Radoubs
Un radoub est le passage en cale sèche d’un navire pour l’entretien ou la réparation de la coque. Par extension, une forme de radoub est un bassin qui permet l’accueil de navires et leur mise à sec pour leur entretien, leur carénage, leur construction, voire parfois leur démantèlement. (Voir journal n° 72). C’est la plus longue des sentes qui vous conduit à gauche aux abords de la place Buscaillet et à droite (notre parcours) jusqu’à la rue du commandant Edouard Gamas. (Voir journal N°52)
Elle se prolonge face à nous, jusqu’aux formes de radoubs peut-être y verrez-vous un super yacht en refit.
À droite :
La sente de l’Hermione
Elle borde le Musée Mer Marine. L’Hermione est une frégate, un bâtiment plus léger et plus maniable qu’un vaisseau de ligne. Rattachée à une escadre, elle doit servir d’éclaireur, de répétiteur de signaux, ou bien doit assister les vaisseaux désemparés dans la bataille. Employée seule, elle est utilisée pour faire des croisières et la guerre au commerce ennemi, ou, en temps de paix, pour effectuer diverses missions scientifiques ou d’exploration. L’Hermione est connue pour avoir conduit pour sa deuxième traversée le marquis de La Fayette aux États-Unis en 1780, lui permettant de rejoindre les insurgés américains en lutte pour leur indépendance.
Nous prenons à gauche passons la rue Blanqui, nous voilà rue Ouagadougou. (Voir journal N°52).
A droite :
La sente des Morutiers
Elle conduit à l’extrémité des Bassins.
Un morutier est un bateau équipé pour la pêche à la morue. Si des morutiers ont bien été construits ou réparés à Bacalan, on n’y a jamais vu une trace d’atelier de séchage de morue. La morue ne faisait que passer par le fleuve, dans le ventre des bateaux pour rejoindre Bègles, où on la transformait.
Empruntons-la en partie jusqu’à la rue des Étrangers pour nous diriger à gauche vers :
La sente de la Nancy
La Nancy était un clipper de grande marche, c’est-à-dire un voilier qui assurait autrefois le transport de marchandises, construit dans les chantiers navals bordelais dans les premières décennies du XIXe siècle. Il navigua dans l’océan Indien assurant la liaison avec l’ïle Maurice et Calcutta.
Cela nous mène au Garage Moderne.
Le Garage Moderne est un garage associatif, participatif, culturel et caritatif créé en 2000.
Derrière La place Pierre Cétois (voir journal N°60 & 61)
Nous arrivons vers :
La sente de la Marie Galante
Marie-Galante est une île située à 30 km au sud-est des côtes de la Guadeloupe. L’île fut atteinte lors de son second voyage, le 3 novembre 1493 par Christophe Colomb. Dans son journal de bord, Il donne à l’île le nom de son vaisseau amiral « Maria-Galanda » du nom de la caravelle qui porte également le nom de la Santa Maria.
Sur notre droite, rejoignons la rue des Étrangers puis tournons à gauche vers la rue Achard.
À droite en direction de la Cité du Vin, nous longeons d’un côté les Vivres de la Marine, de l’autre les Vivres de l’Art.
- Les Vivres de la Marine se composaient de plusieurs bâtiments destinés au stockage, à la transformation et à l’acheminement de denrées ou «vivres» pour les équipages de
la marine. Il y avait entre autres des abattoirs sur place. - Les Vivres de l’Art est un lieu artistique implanté dans les anciens abattoirs des Vivres de la Marine.
Au cours de notre circuit de nombreux jardins verdoient les résidences. Vue de l’intérieur l’architecture est bien différente. La plaque portuaire évoluera. Espaces verts et promenades doivent y être créés. Nous voici au terme de notre balade : Esplanade de Pontiac devant les Halles de Bacalan et au pied de la Cité du Vin. Surveillez les écluses suivant la marée peut-être y verrez-vous un bateau les franchir.
Un autre regard sur Bacalan
Chaque quartier a une identité nourrie par les histoires de ses habitants et par des patrimoines à partager. Bacalan est particulièrement riche de son passé industriel et portuaire, de ses héros du quotidien et de sa vie associative. Alors faites escale à New-York pour un voyage pédestre dans votre quartier, animé par Hicham ou Samuel, les deux « éclaireurs urbains » de l’Alternative Urbaine de Bordeaux. Pour vous guider, ils ont suivi une formation de deux mois au sein de l’association, ont construit un parcours de balade en coopération avec des bénévoles après avoir rencontré des Bacalanais : Tarik le rappeur, Stéphanie de la Régie de quartier, Christian du Conseil de quartier, tous de Claveau, mais aussi Anne-Marie, la responsable de l’épicerie participative La Carotte et le Lapin, les animateurs du Centre d’Animation…
Avec eux, vous allez imaginer les odeurs de mélasse et de sucre de la Raffinerie de Saint-Rémi, revivre la sortie des ouvriers en bleu de travail, écouter l’histoire de la fameuse Cité Lumineuse, évoquer le camp de la Palu, longer les berges sauvages de la Garonne, flâner dans la cité-jardin verdoyante et rénovée de Claveau, plonger en pensée dans l’ancienne piscine de plein air construite par les Allemands, découvrir qui était Roger Hypoustéguy ou Pierre Tachou… Et ils ne manqueront pas de vous parler de la seconde vie plus humaine des bunkers, vestiges de la seconde guerre mondiale, devenus des lieux de production agricole en ville.
Pas à pas, avec Hicham ou Samuel, vous regarderez autrement votre cher Bacalan.
Cette expérience professionnelle d’éclaireurs urbains constitue pour eux un tremplin rémunéré en parallèle d’un accompagnement socioprofessionnel, avec pour objectif : trouver un nouvel emploi.
N’hésitez pas à les rejoindre, les visites sont à prix libre.
L’association propose huit balades hors des sentiers battus à Bordeaux, Lormont, Cenon et Floirac.
Information sur les jours et horaires de toutes les balades et inscription sur le site bordeaux.alternative-urbaine.com.
Dialogue avec l’œuvre grande fontaine de Clémence Van Lunen
Ce matin, je pars à la découverte de cette étonnante œuvre d’art. Depuis le temps, que j’entends parler de cette sculpture…
Bonjour, belle fontaine, depuis quand es-tu là ?
– Je suis arrivée, il y a deux ans. J’ai été inaugurée en septembre 2018. Je suis née d’une commande de Bordeaux Métropole dans le cadre de la Commande artistique publique Garonne. L’objectif du projet était de promouvoir l’art contemporain dans l’espace public. La ville de Bordeaux a fait le constat qu’il n’y a pas assez de fontaines dans Bordeaux et surtout en état de marche. Aujourd’hui la ville, fait revivre petit à petit quelques unes de ces fontaines.
Pourquoi, ces assemblages de vases avec ses mélanges de couleurs ?
– J’entends souvent dire que mes formes sont peu abouties, car elles sont irrégulières, tordues. Je veux laisser la place à une forme de poésie… Je suis une œuvre à la fois visuelle et sonore. En effet, d’une part, je suis constituée d’un mélange de couleurs bonbons et d’autre part, l’eau qui coule produit de charmants clapotis…
Pour quelle raison, es-tu située à Bacalan ?
– Je représente une partie du passé artistique et industriel de Bacalan. En effet, il y avait au XIXe siècle, une manufacture de porcelaine (rue de la Failencerie) nommée Veillard. C’était une des entreprises artistiques les plus importantes à l’époque. Les pièces de faïence étaient très colorées notamment d’inspiration chinoise et orientale. Je me situe place Adolphe Buscaillet, j’accompagne le projet de réaménagement de cette place située au cœur du quartier. L’objectif est que cette place qui fut jadis très animée soit réinvestie par la population.
Un dernier mot à ajouter ?
– Un clin d’œil à ma petite sœur, la fontaine à boire de Clémence Van Lunen, située à quelques mètres de moi, à proximité de l’air de jeux. L’artiste a souhaité faire de nous des œuvres pour les enfants, pied de nez au monde des adultes.
Valérie GAST – Médiatrice culturelle
Visites culturelles et artistiques sur Bordeaux Métropole.
Pour tout renseignement sur le détail des visites, n’hésitez pas à me contacter.
Tél : 06 73 57 85 24 – E-mail : valeriegast@sfr.fr – Facebook : www.facebook.com/Valérie
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