Ce matin de Novembre avait une douceur aguichante. L’air contenait une langueur mystérieuse et fraîche que j’attribuais à la promesse du froid d’une année agonisante de plus. Je relevais mon col et remplissais mes poumons de l’air tout neuf de cette journée inédite. Un truc avait attiré mon attention et je fis un pas en arrière devant le salon de coiffure que je venais de dépasser. L’affiche collée sur la vitrine avait mis quelques secondes pour aller de mon œil à mon cerveau et de mon cerveau à ma raison. Sans doute, devenant un vieil homme, je retrouvais la vulnérabilité des culottes courtes car je ressentis un léger pincement au cœur en lisant l’avis de démolition avant travaux.
La confirmation de ce que je refusais de croire était là, sous mes yeux et il fallait bien céder encore devant le cycle du temps. Le doyen des coiffeurs de Bacalan s’en allait.
L’homme élégant avec sa moustache à la Jean Sablon et sa silhouette de danseur Argentin, celui qui soignait votre tête par sa conversation amicale et votre chevelure avec ses ciseaux d’argent, allait tirer le rideau de fer. J’y allais régulièrement pour réglementer ma calvitie résistante et pour ne pas ressembler à un jardin mal fréquenté dont l’allée centrale s’élargissait pendant que Guy disait à l’homme de l’art « Tu viens à la chasse demain, j’amène du quatre pour si jamais y a de la grive« . Son salon de coiffure était beaucoup plus qu’un simple salon de barbier. C’était aussi l’antichambre où, en coiffant le cheveu du dessus, il soignait le moral à l’étage en dessous. Là, le chômeur en ressortait avec la tête de l’emploi avant un entretien d’embauche, le soupirant se faisait tondre le poil espérant s’y mettre lors du premier rendez-vous galant, l’ami désœuvré poussait la porte et s’épanchait sans rendez-vous dans une conversation plus réconfortante que la consultation hors de prix sur le canapé du psy. L’écrivain amateur lui, captait de l’inspiration dans deux ou trois brèves de salon et le gagnant au tiercé garait sa berline flamboyante devant la boutique, l’œil flatté par le miroir sur sa nuque rafraîchie et sa bagnole derrière la vitrine.
Ce coiffeur-là était bien plus qu’un franchisé de centre commercial. Le rasoir précis, il savait vous faire la tête du footballeur à la mode, si vous lui apportiez le gabarit permettant de faire des zigzags sur une boule à zéro. On y refaisait le plein de confiance avant la photo de famille préambule d’un heureux événement ou de courage avant un mauvais moment à passer grâce à la nouvelle tête d’une nouvelle vie. Je sais! Je suis le premier à proférer cette phrase positive « la fin n’est qu’un commencement » et cet homme entame une autre vie de liberté, de chasse ou de pêche à la ligne largement méritée. Le temps a toujours le dernier mot!
Il ne s’agit pas de cela !
Car la mélancolie, comme la vérité, est ailleurs. Il s’agit de succession ! Je rêvais d’une épicerie changeant d’épicier, d’un bistrot changeant de propriétaire, d’une droguerie, d’un marchand de couleur, d’une imprimerie, d’un garage, d’une boulangerie transmise à l’ouvrier qui y fit son apprentissage. Et je me réveille chaland déçu sur l’épicerie devenue une banque, le bistrot une agence immobilière, le salon de coiffure, bientôt le cabinet du kiné qui déménage, et le reste de la rue, des résidences. Ainsi devrait être une vie de passeur, telle une courroie de transmission du savoir-faire de l’ainé au benjamin et du benjamin au cadet car un métier est comme une famille. La grande famille de l’artisanat. Chez notre coiffeur, même Louis XVI aurait changé de tête.
Sa carrière porte le témoignage des générations de crânes dont il a vu les chevelures se clairsemer ou blanchir. Michel, car c’est de lui qu’il s’agit, remercie tous ceux qui lui ont permis d’exercer son art sur leurs jeunes tignasses ou leurs têtes chenues. L’histoire du coiffeur à Bacalan n’est pas tout à fait terminée puisque les habitués sont devenus des amis. Décidément le temps a toujours raison !
Salut l’artiste ! Au suivant !
Serge H. Pradoux
Michel notre coiffeur de la rue Joseph Brunet part à la retraite. Une dernière coupe ? ?